(c) Copyright 2011 Le Figaro, Par Christophe Cornevin , 16 février 2011
En plein coeur de Paris, près de trois cents ingénieurs et techniciens de haute volée conçoivent la police et la gendarmerie du futur.Nom de code : ST(SI)2
Le visage du policier et du gendarme du futur se dessine en plein coeur de Paris, à deux pas des Invalides et de l’École militaire, derrière l’austère façade d’un immeuble néo-stalinien. Une fois passé le sas de sécurité protégé par de solides cerbères, puis un hall caverneux menant à une volée d’ascenseurs, le visiteur débarque au troisième étage dans un véritable dédale de couloirs où s’affairent en silence blouses blanches et galonnés, scientifiques et experts des forces de l’ordre. C’est dans ce lieu presque improbable, hors du temps et s’étendant sur plus de 7 000 mètres carrés jadis dévolus au ministère de la Santé, que le ministère de l’Intérieur a décidé d’installer dans la plus grande discrétion un laboratoire géant appelé à devenir un fleuron technologique.
Depuis le 1 er septembre dernier et pour la première fois dans son histoire, il conjugue les savoir-faire de la gendarmerie et de la police au sein d’une seule et unique entité. Du jamais-vu, avec un acronyme qui accroche l’oeil, ST(SI) 2 , pour Service de traitement des systèmes d’informations de la sécurité intérieure. Jusqu’alors, les deux forces, parfois jalouses de leurs prérogatives et de leurs secrets de cuisine, travaillaient souvent chacune de leur côté. Désormais, 290 techniciens issus à part égale de la maréchaussée et de la police font mouliner ordinateurs et moteurs de recherche aux confins du futurisme et du high-tech dans le seul but de doter les services de sécurité d’une panoplie dernier cri. Parmi cette pépinière se trouvent trois polytechniciens mais aussi des diplômés de Supélec, de Suptelecom ou encore de Centrale. Une « minirévolution » , martèle-t-on Place Beauvau où l’on se félicite de cette inédite synergie, synonyme d’économie d’échelle. Un must en ces périodes de disette, même si une enveloppe de 195 millions d’euros a été consacrée au fonctionnement cette pépite.
Loin du célèbre « Q » et de ses gadgets exubérants imaginés par Ian Fleming pour son agent 007, les experts du ST(SI) 2 développent outils et logiciels futuristes visant à muscler l’efficacité opérationnelle des quelque 250 000 policiers et gendarmes déployés sur le terrain. En les rendant plus réactifs en intervention et parfaitement furtifs en surveillance. Pour la première fois, cette entité où de stupéfiantes trouvailles sont conçues à l’abri des regards a ouvert ses entrailles au Figaro .
Une flottille de voitures tricolores
Dans une aile du tentaculaire laboratoire, officiers et chercheurs s’affairent dans des salles encombrées de câbles, d’ordinateurs et d’écrans projetant des images de synthèse semblant droit sorties d’un jeu vidéo. Sur une carte de la Seine-Saint-Denis, un nuage de points rouges s’allume par endroits signalant, en temps réel, les appels d’urgence reçus par « police secours ». D’un simple clic, un opérateur de la salle d’information et de commandement basé à Bobigny sait aussitôt s’il s’agit d’un piéton renversé, d’un cambriolage, d’un hold-up ou encore d’une découverte macabre. En zoomant avec une précision de 1/3 000, il cible l’endroit d’intervention. Sur l’écran, des bâtiments environnants apparaissent, disposant de « fiches réflexes » où sont mentionnés les meilleures voies d’accès, les codes d’entrées, d’éventuelles consignes de confidentialité ou encore le numéro d’appel du gardien ou d’un responsable. « Tout est pensé pour accélérer les délais d’intervention pour une meilleure sécurité du citoyen , s’enthousiasme l’ingénieur en chef Patrick Guyonneau, adjoint du général Bernard Pappalardo qui dirige le ST(SI) 2 . Sur le terrain, nous avons d’ores et déjà installé des boîtiers de géolocalisation dans les véhicules de police afin de suivre à tout moment leurs déplacements par satellite. »
Sur la carte animée, les patrouilles apparaissent sous la forme d’une flottille de petites voitures tricolores qui se déplacent en clignotant sur tout le département. « En cas d’appel police secours, toutes les patrouilles en service sont signalées dans un périmètre de dix kilomètres , explique un commandant de police. Un triangle vert indique qu’un équipage est libre, jaune quand il est déjà en intervention, gris car momentanément indisponible ou encore rouge lorsqu’il est en détresse. » En cliquant tour à tour sur les patrouilles à proximité, le commandement peut aussi sélectionner un véhicule banalisé ou non, embarquant des policiers équipés de Taser ou accompagnés de chiens. « On sait aussi à distance si l’équipage est composé de stagiaires ou de femmes, détail qui peut avoir son importance lorsqu’il s’agit de désamorcer un différend familial ou une rixe entre bandes rivales… » , concède un vieux briscard.
La police, qui adore les sigles, a baptisé ce système « Pégase » (Pilotage des événements, gestion de l’activité et sécurisation des équipages). Après une année de rodage en 2006, pas moins de 6 000 véhicules, dont 1 300 en région parisienne, sont désormais géolocalisés dans 41 départements parmi les plus urbanisés du pays. Dans un avenir proche, le ST(SI) 2 perfectionnera encore le dispositif grâce à « Map Commander », un outil cartographique qui permettra de cibler, dans un quartier ou le long d’un axe routier, les points chauds sur lesquels des crimes, des délits ou des accidents de la route ont tendance à se répéter. « Grâce à un travail de probabilité développé avec l’Institut de mathématiques appliquées d’Angers, il est presque possible de prévoir les lieux où les infractions vont être commises pour les anticiper, prépositionner des effectifs et agir en flagrant délit , assure un de ses concepteurs. Expérimenté par la préfecture de police de Paris, ce prototype d’anticipation criminelle a permis de faire baisser certains délits de 20 % et de doubler le nombre d’interpellations en un an. »
Empreintes des paumes et odorologie
Engagés sur le front de l’élucidation des affaires les plus complexes, les chercheurs du ST(SI) 2 expérimentent de nouveaux outils, comme le logiciel « Morpho » qui a permis d’identifier près de 600 suspects grâce aux seules empreintes de leurs paumes sur une scène de crime. Ces policiers et gendarmes en blouses blanches explorent aussi l’univers à peine défriché de l’odorologie appliquée à l’identification criminelle. À tâtons, ils cherchent notamment à mettre au point un « capteur » de synthèse capable de « renifler » et d’analyser n’importe quelle fragrance prélevée sur une scène de crime. « La puce est l’avenir du chien , s’exclame l’ingénieur en chef Patrick Guyonneau. À la différence de l’animal qui peut se blesser en opération ou avoir son odorat saturé après des heures de recherche, le capteur électronique ne tombe jamais malade et fonctionne 24 heures sur 24. »
À l’autre bout d’un couloir, d’autres techniciens experts en vidéoprotection concoctent un puissant logiciel de reconnaissance faciale, capable d’isoler en un temps record puis d’extraire automatiquement le visage d’un suspect ou d’une personne recherchée. « Vu la multiplication des caméras, seule une machine dotée d’une intelligence artificielle permet l’exploitation massive d’images dans des temps raisonnables, ce qui est devenu impératif dans certaines enquêtes judiciaires notamment » , explique un commandant qui estime qu’il faudrait « mobiliser au moins 2 000 policiers pour »dérusher* vingt-quatre heures de bandes de vidéoprotection d’une ville comme Londres ! À Paris, les enregistrements de soixante-douze heures de surveillance d’un endroit comme la gare Montparnasse, truffée de 120 objectifs, représentent l’équivalent de 3 100 DVD ! » En une nuit, le logiciel peut confronter la photo d’un suspect avec tous les visages d’une foule de passagers filmés dans un aéroport. Ce programme de reconnaissance biométrique, en voie de développement pour apprendre à « détroncher » les suspects même s’ils sont postichés, entrera en service d’ici à la fin de 2011.
Drones, lampes torches et parapluies
Souvent sollicités pour leur expertise par des services spéciaux comme la DGSE, le contre-espionnage ou encore les superflics du RAID, les ingénieurs du ST(SI) 2 ont en outre mis au point des drones de contact avancé (DCA) afin de mener, de façon furtive, des opérations de surveillance aérienne. Valant 250 000 euros, le plus gros de ces « mouchards » volants se présente sous forme d’un hélicoptère modèle réduit, pesant à peine quinze kilos et équipé d’une caméra infrarouge. En émettant à peine le bruit d’un ventilateur, il peut « foncer » à une vitesse de croisière de dix mètres par seconde sur un objectif avant de s’arrêter en vol stationnaire à l’endroit voulu. Autre petite prouesse technologique, la police a par ailleurs mis au point Elsa, Engin léger de surveillance aérienne, complètement furtif capable de renseigner des unités d’intervention sur l’emplacement de preneurs d’otages ou la localisation de casseurs dans une manifestation. Un curieux drone « quadripale », à peine plus grand qu’une grosse boîte à chaussures, vient désormais étoffer la gamme de ces vigies du ciel.
D’autres gadgets occupent les Géo Trouvetou de l’Intérieur. Alors que certains manipulent avec délicatesse des caméras espions périscopiques et des jumelles à visée nocturne, d’autres règlent en sous-sol des « intensificateurs de lumière » et des lampes torches d’une portée de deux kilomètres. Un bien étrange parapluie vient compléter cette ébouriffante panoplie. Fabriqué sur mesure par la célèbre manufacture de Cherbourg, ce « pépin » un peu particulier est réservé aux gardes du corps qui protègent le président de la République, Nicolas Sarkozy. « Ils peuvent ouvrir le parapluie en cas de jets de projectiles ou s’en servir pour repousser un groupe hostile , explique un technicien. Son manche est en fibre de carbone, ses baleines en titane et son tissu antilacération en Kevlar est cousu main par des couturières qui y passent une semaine… » Son prix ? 7 000 euros pièce. Au total, la garde rapprochée du président en a commandé une dizaine.
Tout est pensé pour accelérer les délais d’intervention pour une meilleure sécurité du citoyen
PATRICK GUYONNEAU, INGÉNIEUR EN CHEF